Lettre ouverte à Mme Bompoint, directrice de Mains d’œuvres à Saint-Ouen

Courant décembre, Mme Bompoint, actuelle directrice de l’espace Mains d’œuvres à Saint-Ouen, a été nommée par le Conseil départemental pour poursuivre et mener à son terme la dite « mission de préfiguration », et donc déterminer les conditions d’un nouveau projet pour la Parole errante. En moins de dix jours, sans qu’aucun moment d’échange ou de travail n’ait été proposé aux usagers du lieu, nous nous retrouvons déjà au pied du mur, face à un projet, des modalités d’administration et de gestion reformulées unilatéralement et à toute vitesse. Cette urgence décrétée après, faut-il le rappeler, deux années de silence et d’atermoiement, nous pousse à réagir publiquement par la lettre suivante.

Le 20 décembre 2017

 

Madame,

 

Alors même que vous proposez un processus d’élaboration commune du lieu, que s’est-il passé depuis votre arrivée sur la scène de la Parole errante ?

Dans un temps record, à savoir une dizaine de jours (!), une association (« l’arbre à parole »… ?!) a été créée pour signer un nouveau bail avec le Conseil départemental. Les statuts, notamment l’objet de cette association, entérinent votre reformulation éclair d’un projet, qui n’a de toute façon jamais été discuté ou simplement présenté, notamment au collectif la Parole errante demain qui coordonne pourtant une majorité d’usagers de ce lieu. Non seulement, aucun usager ne figure parmi les membres du bureau, mais la forme choisie pour l’association, notamment les pouvoirs accordés au conseil d’administration, n’ont fait l’objet d’aucune concertation. Bref, vous nous mettez devant le fait accompli et renvoyez à plus tard des interrogations pourtant essentielles quant à la nature du processus engagé.

Nous aurions pu prendre sur nous. Intérioriser l’écart béant entre ce qui est dit et ce qui est fait. Nous résoudre à l’argument de l’urgence et nous laisser bercer par les « oui, oui, oui » en réponse à nos questions. Mais cette méthode de gestion et de gouvernement nous est familière. Comme tant d’autres, nous y sommes de plus en plus souvent confrontés dans nos parcours de vie, dans nos parcours de lutte et nous n’avons pas envie d’en tomber malades. C’est pourquoi nous affirmons notre refus et renversons la question et le point de vue.

Que ne s’est-il passé depuis votre arrivée ?

Vous n’êtes pas venue rencontrer les personnes qui animent ce lieu jour après jour. Vous n’avez pas pris le soin de lire le projet qu’ils défendent depuis plus de deux années. Vous n’avez pas pris connaissance du processus en cours de réinvention du lieu. Bref, vous n’avez pas même franchi le seuil de ce lieu, pourtant hospitalier (il vous aurait suffi par exemple d’ouvrir la porte du café-librairie Michèle Firk…).

Faut-il le rappeler, le collectif la Parole errante demain a patiemment institué depuis plus de deux années un cadre d’échange, de décision et de gestion du lieu, ouvert à toutes les réalités qui le constituent et le font vivre (habitants du quartier, compagnies de théâtre, groupes de musique, festivals, associations, revues, maisons d’édition, etc.). Depuis ce cadre, une lutte a été engagée pour empêcher la fermeture de la Parole errante, avec la double exigence d’assumer l’héritage laissé par Armand Gatti et de donner droit aux multiples usages qui se sont exprimés ici depuis une dizaine d’années. Concrètement, la programmation, la régie, l’accueil et la maintenance ont été progressivement repris en charge collectivement.

Par vos méthodes, c’est l’ensemble de ce chantier d’expérimentation que vous menacez aujourd’hui, c’est-à-dire cela même que vous affirmez vouloir reconnaître.

Ce ne sont pas des façons.

Votre arrivée remontant à moins de quinze jours, nous osons espérer qu’un nouveau départ est possible, et qu’il prenne enfin en compte, de façon non seulement verbale, le réel de ce lieu. Sans quoi, nous nous dirigerons vers un inévitable conflit.

Collectif La Parole errante demain.

 

Publié le 3 janvier 2018 dans Fabrique du commun