Le Marque-page

Cette émission produite en 1998 par Hélène Châtelain nous plonge dans l’œuvre et l’écriture de Sigismund Krzyzanowski.

Etrange destin que celui de Krzyzanowski, né à Kiev, polonais d’origine, russe de vocation, qui fit de Moscou sa table d’écriture, auteur de plus de trois mille pages de récits, notes et essais jamais publiés de son vivant, et qui fut découvert, cinquante ans après sa mort, par un autre poète, essayiste et grand arpenteur de Moscou lui aussi, Vladimir Perelmuter. « A aucune époque, en aucune circonstance, écrit celui-ci, une telle exigence ne trouverait à vivre en accord avec son temps. Mais dans ce XXème siècle qui lui échut, Krzyzanowski se révéla presque idéalement inaudible ». Ce « génie négligé » – ainsi fut-il salué par les rares qui le reconnurent – confronté à son siècle fit de l’ écriture, des mots, des lettres, ses personnages privilégiés. C’est avec eux qu’il mena sans relâche une réflexion exemplaire sur le langage et la création. « Un mot est dans le bruit comme un homme dans une ville  » , écrivait-il. « Le Marque-page » est le titre de la toute première nouvelle à avoir été publiée à Moscou, en 1989.

Dans l’introduction qu’elle rédigea à la première publication en français de cette nouvelle (Verdier, 1992), Hélène Châtelain notait ceci : « Dans la première nouvelle ici publiée : Le Marque-page, son texte sans doute le plus directement autobiographique, écrit en 1927, il y a l’écho, et l’insoutenable nostalgie, de cet hiver 1919 et de ces soirées où se menait dans des salles glaciales et combles, le dialogue en direct avec le « cosmos, la révolution, les questions de la vie et celles de l’art » , où l’ennemi n’était pas tant l’Autre que le monde des objets l’ensevelissant. « Avant la révolution, nous ne voyions pas le monde, car nous étions ensevelis sous les objets, égarés entre les trois éternels fauteuils du grand-père. Il fallait abandonner toutes ces choses, des plus familières aux plus abstraites, abandonner les murs et les toits, tout, en échange de ce qui nous était offert : l’univers et son exigence. »

 

Publié le 16 avril 2020 dans Sons