Qui n’expérimente pas, n’a pas droit à la Parole!
En mai 2015, la Parole Errante devait fermer ses portes, et le propriétaire des lieux, le Conseil départemental, avait pour projet d’y installer les Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis à l’année pour en faire un lieu dédié à la danse, et à la danse seulement. L’affaire était close mais ne fut pas rondement menée. En tant qu’usagers des lieux, habituées des concerts, des assemblées, des représentations, des répétitions et des festivals qui ont lieu à la Parole Errante depuis presque 10 ans, nous nous sommes mobilisés pour que les suites de la Parole Errante ne se décident pas en faisant table rase de son histoire et de son présent.
Nombreux sont ceux qui, à Montreuil et bien au-delà, ont montré qu’ils tenaient à ce lieu, et étaient attachés à ce que quelque chose continue ici : que les événements régulièrement accueillis depuis des années puissent continuer de l’être, mais aussi que de nouvelles réalités – y compris les plus fragiles – puissent venir y trouver un relais ou un appui, fut-il temporaire. Autour de cette exigence, un processus a été entamé de réinvention du lieu, au fil de l’eau, et à partir de l’existant, avec la volonté d’en préserver l’accueil et l’hospitalité, ce mélange rare entre activités de création, de spectacle, de solidarité, d’auto-financement, de recherche, de fête, etc.
Dès l’été 2015, un « projet » – conçu comme une hypothèse de recherche et d’expérimentation -, a été écrit et déposé sur la table du Conseil départemental. Le silence a prévalu pendant une année, aucune discussion publique n’a eu lieu, jusqu’au lancement d’un « appel d’offres à repreneurs » où techniciens et élus du conseil départemental discuteraient des dossiers mis en concurrence… Notre « proposition » a alors été écartée au profit de deux structures : les Jeunesses Musicales de France et le Centre d’art et d’expérimentation sociale l’Envol. L’association parfaitement arbitraire de ces deux structures s’est écroulée d’elle-même et l’appel d’offres a été enterré par ceux-là mêmes qui l’avaient initié…
De nouveau, le même silence a prévalu pendant des mois jusqu’à cette nouvelle surprise – sans surprise – lancée en plein été : la nomination d’une « mission de préfiguration » chargée de déterminer l’avenir de la Parole errante d’ici le mois de décembre. Elle réunit des « techniciens » du Conseil départemental, de la mairie et – nouveauté – un représentant de la Parole errante historique. L’autre « nouveauté » ou « vraie surprise » cette fois aurait été de convier le collectif la Parole errante demain… qui, on le rappelle, réunit une grande majorité des usagers du lieu, et œuvre depuis deux ans à exposer publiquement les enjeux liés à l’existence de ce lieu hors-normes. Et à le défendre.
Pour autant, malgré l’air de « déjà entendu », certaines choses ont à l’évidence bougé : pour la première fois depuis deux ans, il s’agirait de trouver un compromis entre le Conseil départemental, la mairie et les acteurs de la Parole errante aujourd’hui. Un document d’étape, sorte de feuille de route des discussions à venir, reprend à son compte certains éléments que nous ne cessons d’avancer depuis le début : qu’un projet n’aura de sens qu’à prendre en compte l’existant plutôt qu’à l’effacer, que l’espace de la Grande Salle doit être conçu comme un outil en partage plutôt que comme une propriété, que la future administration devra être collégiale, que l’accueil et l’hospitalité devront être préservés au-delà du simple accueil d’événements « culturels »…
Autant d’éléments qui, s’ils doivent être pris en compte sérieusement, nécessiteront du temps et de l’expérimentation pour réinventer toutes les modalités de la vie future de la Parole errante : son fonctionnement quotidien, son administration, ses sources de financement, etc. L’élaboration collective du lieu en est une étape essentielle, et doit prendre la forme d’un processus vivant, d’une recherche en acte plutôt que d’une programmation extérieure à son identité, son histoire et ses usages.
Si le but de la « mission de préfiguration » est de régler au plus vite le « dossier » ou le « problème Parole errante », nous avons quant à nous tout notre temps, nous ne sommes pas pressés. Nous voulons continuer à faire vivre ce lieu. Nous ne l’affirmons pas depuis une tour d’ivoire, mais depuis tout en bas : depuis la quotidienneté des ces dix dernières années à voir pousser ces rencontres et ces initiatives faites d’assemblées, de réunions, de concerts, de représentations, de répétitions, de projections, d’ateliers, de repas, de fêtes, de festivals…
Plus que jamais, nous sommes déterminés à affirmer un droit à l’expérimentation pour ce lieu hors-normes, ainsi qu’à inventer collectivement, au plus grand nombre possible, les suites de la Parole errante.
A suivre, et à poursuivre donc…