Retour sur une exclusion à la Parole Errante

Lundi 6 juillet 2020, K. de l’association les Tomates Vertes, présent dans le jardin/amphithéâtre et dans l’espace cantine de la Parole Errante a été exclu des lieux.

Depuis des mois, des rumeurs d’agressions sexuelles émanant de différents espaces, collectifs et réseaux montreuillois circulaient à son sujet, puis des personnes nous ont contacté.es pour nous avertir plus précisément. Pour ne pas entretenir le flou propre à toute rumeur et nous en tenir aux faits, nous avons alors cherché des informations au plus près des premières concernées auxquelles nous réaffirmons ici notre soutien inconditionnel et notre solidarité.

Il est apparu que K. avait commis différent types de violences dont un viol, avant qu’il n’arrive à la Parole errante. Cela est venu s’ajouter au fait qu’il exerçait au sein du lieu des rapports de domination et une privatisation des espaces. Dans un souci de protection, sa présence et sa participation n’étaient plus envisageables.

La décision de pousser K. vers la sortie a été prise après plusieurs temps d’échanges parmi différent.es usager.es du lieu, non sans difficultés, désaccords et conflits sur les modalités et les effets d’une telle décision. Sans que soit mis fin aux interrogations sur, par exemple, ce que serait une autre justice ou sur le fait de nommer les auteurs d’agressions, nous avons finalement choisi de l’identifier publiquement pour que l’éviction ne lui laisse pas toute liberté de recommencer. Il ne s’agit ni de désigner une personne à la vindicte publique, ni de fabriquer une figure de monstre, mais de briser le silence qui prévaut encore massivement sur ces violences. Et par là d’attaquer, avec d’autres et à notre mesure, une culture du viol qui imprègne l’ensemble de la société.

D’où la volonté, le 6 juillet et les jours qui ont suivi, d’être nombreuses et nombreux à porter ce geste. Une communauté de lutte s’est mobilisée pour l’occasion, tout un tissu d’amitiés et de liens politiques anciens et nouveaux, de rapports d’organisation et de solidarité avec d’autres collectifs et d’autres lieux. Avec quelques Gilets Jaunes montreuillois, des camarades des Brigades de solidarité populaire, de l’Aspa, de l’Aeri et de Mecasolid, nous avons mis en œuvre la fermeture temporaire du jardin et de l’amphithéâtre de plein air, mais aussi parlé avec celles et ceux qui fréquentaient cet espace, ainsi qu’avec les passant.e.s et le voisinage, notamment pour démentir le déni opposé par K. quant aux raisons de son éviction.

Ces journées laisseront des traces. Dans une période de fragilité, après cinq années de reconstruction du lieu et d’expérimentation, nous avons vécu un moment politique important. Cette décision d’exclusion n’a fondamentalement rien réglé, mais elle a ouvert une porte pour affronter plus résolument les violences sexuelles jusque-là souvent impensées, ici comme ailleurs.

L’histoire de K. est loin d’être une exception… Il y a quelques semaines, à l’initiative du comité de soutien formé autour d’une camarade, nous avons contribué à une démarche inter-collective qui visait à la protéger de son ancien agresseur, par son exclusion du collectif Acta, ainsi que de différents espaces et lieux d’organisation (dont la Parole errante). Si cette initiative a une nouvelle fois mis en évidence la nécessité de penser les agressions sexuelles en milieu militant, elle a également enclenché une dynamique de partage d’interrogations, de savoirs, de pratiques et d’outils afin d’élaborer collectivement des réponses, qui ne sauraient se limiter à des mesures de mise à l’écart.

Nous concevons la Parole Errante comme un lieu d’expérimentation sociale, culturelle, politique ; une expérience depuis laquelle nous cherchons à inventer et affirmer d’autres valeurs, d’autres façons de vivre. À rebours par conséquent des logiques capitalistes, patriarcales et racistes et des relations de pouvoir qu’elles produisent et sur lesquelles elles s’appuient. Cependant, malgré bien des attentions, aucun moment de la vie du lieu ne saurait en être a priori exempt. Comme d’autres réalités collectives, nous sommes traversé.es par une violence structurelle qui marque de son sceau la reproduction des principales lignes de division de cette société. Il en va de la responsabilité de chacun.e – usager.e d’un jour comme participant.e.s les plus régulier.e.s – de prémunir le lieu des pratiques ou propos sexistes, homophobes, lesbophobes, transphobes, xénophobes, de favoriser des relations empruntes d’amicalité, d’écoute réciproque, d’ouverture aux autres, d’égalité.

Pour ouvrir un espace d’échange, de questionnement et d’élaboration autour des enjeux afférents au sexisme, aux différentes formes de violence, aux rapports de genre, de domination et de pouvoir, un groupe de travail ad hoc a été créé à la Parole errante. Nous entendons mutualiser cet effort à une échelle inter-collective dès la rentrée prochaine. De manière plus générale, nous avons besoin de temps pour continuer à penser un accueil serein pour tous et pour toutes.

Vaste chantier ! Comme ce fut le cas ces dernières semaines, nous y puiserons de la force en prenant soin les un.es des autres, pour lutter dans et contre ce monde et faire vivre d’autres territoires existentiels.

La Parole Errante Demain, août 2020.


Voici quelques matériaux utiles pour prolonger la réflexion :


• Un ensemble de textes publiés sur infokiosques.net dans la rubrique « Violences patriarcales, autodéfense féministe » dont :

Lavomatic – Lave ton linge en public, Des pistes de réflexion sur la justice et la prise en charge des violences de genre dans les milieux anti-autoritaires

https://infokiosques.net/spip.php?article672


• Stratégies de défense des agresseurs sexuels en milieu militant – et comment les combattre
https://lesoursesaplumes.info/2017/02/23/strategies-de-defense-des-agresseurs-sexuels-en-milieu-militant-et-comment-les-combattre-partie-13-definitions-et-formation/


• Pas de recette miracle. Perspectives extra-judiciaires face aux agressions sexuelles
https://rebellyon.info/Pas-de-recette-miracle-Perspectives-extra-22481

• Maya Dukmasova, “Tout le monde peut se passer de la police, organisations communautaires pour abolir la police à Chicago”, in Jefklak, janvier 2017 https://www.jefklak.org/tout-le-monde-peut-se-passer-de-la-police/

• Elsa Dorlin, Se défendre, une philosophie de la violence (la partie : Autodéfense et politique de la rage)

 

Publié le 14 septembre 2020 dans Fabrique du commun