Le voyage en langue Maya

Avec cette émission de radio réalisée en 1998 sur la création de la pièce d’Armand Gatti, « Voyage en langue maya avec surréalistes à bord », nous poursuivons la publication d’éléments témoignant de la résonnance particulière, à la Parole errante, de l’arrivée des délégations zapatistes en Europe…

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Lors du week-end de réouverture de la Parole errante, les 12 et 13 juin 2021, nous avons fait symboliquement une place à l’initiative zapatiste de « la traversée pour la vie ». En plus de l’écoute d’un travail sonore en cours sur l’histoire du zapatisme, une exposition documentait l’histoire des nombreux liens de l’écriture d’Armand Gatti et de la Parole errante avec l’Amérique latine. A travers notamment une soixantaine d’affiches réalisées en sérigraphie pendant l’été 1998, dans le cadre d’une expérience collective menée en Seine-Saint-Denis (avec des patients d’un hôpital de jour de Bondy, des élèves d’une école primaire de Montfermeil et d’un lycée technique et professionnel de Bagnolet, des groupes de femmes de Pantin et de Saint-Denis, par des habitants de Montreuil et d’Aubervilliers…). Cette expérience proposait d’aller à la rencontre de 5 siècles de résistance indienne, et d’une autre conception du monde et des choses. Ces affiches participaient pleinement de ce Voyage en langue maya avec surréalistes à bord proposé par Armand Gatti, et titre-éponyme de sa première « pièce » créée à Montreuil.

A l’époque, une émission de radio écrite par Benoît Artaud, tout fraîchement arrivé dans l’équipe de la Parole errante, se proposait de suivre « l’expérience ». Nous la republions ici pour la première fois, après sa première diffusion en 1998 dans les Nuits Magnétiques de France Culture.

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Pour prolonger l’écoute, voici un texte de Natanaële Chatelain – tout particulièrement consacré aux différents ateliers de réalisation d’affiches, qui introduisait le catalogue consacré par la Parole errante à l’expérience de ce « Premier voyage en langue maya ».

Premier voyage en langue Maya

Le Premier voyage en langue maya s’est constitué à partir de différents lieux avec, à chaque fois, une façon autre d’aborder la question de l’« indianité », celle de l’urgence de répondre aux événements qui se déroulent là-bas, celle de l’écriture comme lieu de réponse. Le temps au sein duquel s’est inscrite cette expérience est multiple. Il existe à travers toutes les tentatives qui ont essayé de l’introduire.

Le temps de la rencontre  

Au départ, neuf affiches à compléter sont réalisées puis distribuées dans différents lieux de la Seine-Saint-Denis. Plus de mille personnes sont contactées au sein de diverses structures (collèges, hôpitaux, cours d’alphabétisation, maison populaire, bibliothèques, associations…). Toutes sont invitées à se joindre à cette expérience. Chaque affiche apporte avec elle un mot indien et un personnage pour porter ce mot –Yon Sosa, Rigoberta Menchu, Rogelia Cruz, Michèle Firk, Léonard Peltier, les chefs indiens Seattle et Sitting Bull, Che Guevara, Camilo Torres, le sous-commandant Marcos – tous présents dans ce qu’ils ont eux-mêmes interrogé du monde indien. Présents également dans le lien qu’Armand Gatti a cherché à tisser avec eux au fil de ses pièces.

Ici, chaque participant était amené à se mobiliser pour apporter sa réponse issue, à la fois de son histoire personnelle, et de sa rencontre avec le monde indien.

Le travail autour de ces affiches a traversé toute l’expérience. Cependant, il a sans doute révélé sa véritable potentialité en permettant à des gens ne pouvant se joindre aux groupes réunis autour d’un texte, de se joindre également au spectacle. Le fait de s’être interrogé autour des affiches, leur permettait de ne plus intervenir seulement comme spectateurs, mais aussi comme participants. Ainsi, les patients de l’hôpital de jour de Bondy, les femmes en cours d’alphabétisation à Pantin et Saint-Denis, les élèves de différents collèges sont venus s’inscrire dans cette expérience et ont pu y prendre part jusqu’à sa concrétisation.

Le temps de l’oralité

De ce temps de l’oralité, Armand Gatti ramène avec lui une histoire liée à la période où il fut journaliste au Guatemala. Il s’agit de l’histoire des robes de Reine Maya que lui raconte un jeune Indien, Felipe – celui qui fut son guide dans le maquis. Cette robe est un symbole de résistance : les femmes mayas qui ne pouvaient accepter l’idée du suicide collectif, avaient choisi de se confectionner une robe de reine qu’elles porteraient tous les jours et qu’elles renouvelleraient à chaque étape de leur vie. Symboliquement, cela signifiait que quiconque entrait sur leurs terres y entrait comme sujet de la reine. (…)

Le temps des passeurs des paroles de l’homme

Dans ce temps du voyage en langue maya, les témoignages de tous ceux à qui nous sommes venus rendre hommage et les différentes pièces d’Armand Gatti lorsqu’elles se sont fait dialogue avec ces voix, n’ont cessé de se relancer.

À travers ces pièces, il s’agissait d’aller vers l’Indien, mais à partir de notre propre langage. Che Guevara, Otto René Castillo, Rogelia Cruz, Michèle Firk, Rigoberta Menchu, sont ceux grâce auxquels ce voyage est devenu possible. Et avec eux, il y avait formuler cette inquiétude : comment un combat, non par les armes, mais par les mots, peut – par les mots eux-mêmes – cesser d’être un combat ? Interroger les mots de l’histoire en ce sens, les mots de la conquête qui sont encore les nôtres et tâcher de trouver un lieu où il est de nouveau possible d’interroger le langage. C’est à cette condition seulement que nous pourrons dire que ceux auxquels nous sommes venus rendre hommage à travers leurs actes et leurs paroles, ne meurent pas. C’est au sein de cette démarche également qu’une rencontre avec le monde indien est envisageable. 

Ici, notre guide a été Yon Sosa : « L’arme décisive du guérillero, c’est le mot, et le mot aujourd’hui est indien ». Cesser de vouloir définir les peuples indiens à partir de nos propres conceptions des choses. Commencer par les reconnaître dans leur diversité de noms et de langues. Là où nous n’avons cessé de construire Babel (dimension que l’on retrouve aujourd’hui sous la forme de la pensée unique et de la mondialisation) ils ont accepté la pluralité des signes. Là où nous avons construit une tour, ils se sont cherché un nom, ils se sont appelé Quichés, Lacandons, Tzotzils, Chols, Tolojabals, Zoques, Tzeltals S’inscrire dans cette expérience en enlevant le nom d’« Indien » qui est le fait d’une erreur. Là encore ce sont des mots et des mémoires qui sont en jeu. Par ce chemin, entrer dans le Premier voyage en langue Maya.

Le temps des monuments mayas

Rencontrer une culture qui refuse la séparation entre la vie de l’homme et celle des événements. Alors que nous nous définissons comme des gens de la terre et des individus, les peuples indiens nous parlent d’une civilisation-univers ou ce qui meurt n’est pas forcément voué à mourir. Notre responsabilité est alors posée en tant que participants à l’univers, et non comme maîtres et dominateurs de la vie.

La découverte du temps tel qu’il s’inscrivait sur les monuments mayas, où les glyphes étaient porteurs de dates, fut déterminante. C’était déjà un choix dans l’écriture. La date maya comme écriture capable de nous introduire dans une conception du monde radicalement différente de la nôtre. Nous avons tenté de reconstituer le monument maya. Chacun a été convié à prendre des dates de sa vie et à les mettre en résonance avec un glyphe, afin de constituer ainsi un calendrier. Il s’agissait alors d’inscrire son nom en termes de jours et non plus d’individus. À l’intérieur du temps ainsi pensé, Armand Gatti énoncera le fait de cette expérience en ces termes : « On se bat pour rendre meilleure la récolte de maïs d’il y a trois mille ans ».

Le temps de l’écriture

Tout d’abord, il y a eu trouver le lieu de l’écriture. Ce fut celui du « Jeu de Paume », où les glyphes redessinaient pour nous, la balle. Ici, c’est la trajectoire du soleil qui était décrite. C’est là que pour les Mayas il y avait la possibilité de changer de destin.

Une partie du Jeu de Paume, comme l’espace de l’écriture et dans cet espace la possibilité de changer l’histoire.

Nous sommes devenus tellement respectueux de l’histoire établie que nous ne savons plus que classer, répertorier, sans plus nous inquiéter de la lecture que nous faisons des choses. Chercher une autre lecture possible à partir des glyphes, c’est cela la prise de position. Non pas en donner la définition telle qu’elle pouvait exister il y a trois mille ans, mais raconter les glyphes comme les mots du poème. Aller du présent au passé, s’incorporer le passé. Cinq siècles de résistance indienne vers lesquels nous avons tenté d’émigrer, mais non en tant qu’historiens. Le pari était d’entrer en correspondance avec les glyphes des villes mayas survivantes, afin d’en devenir les habitants. Mais avant cela, il y a eu interroger le mot terre. C’est avec lui que s’est fait véritablement l’entrée dans le temps de l’écriture. C’est le premier mot lancé par les conquistadors lorsqu’ils ont touché le sol de d’Amérique. Un mot dans lequel se sont heurtés deux conceptions de l’histoire : celle de la pensée occidentale et celle de la pensée indienne – l’une et l’autre ne répondant pas aux mêmes catégories.

Pour nous, il s’agissait de retrouver le paysage indien, le langage indien. L’écriture devait rendre compte de cela. D’abord, trouver au mot « terre », un glyphe, puis dire et inscrire ce glyphe comme trajet d’une écriture. Dans cette traversée, conduire tous ceux à qui nous étions venus rendre hommage, vers une mort maya. Les reprendre à leur mort occidentale afin de leur donner une mort indienne. Autant d’âmes reprenant le maquis. Et dans la mesure où c’est cela effectivement qui avait lieu, la possibilité de dire qu’ils ne sont pas morts. Les rencontrer dans l’histoire qu’ils ont essayé de refaire et que nous voudrions poursuivre en interrogeant à nouveau. Les mots d’Otto René Castillo à ce moment-là, lorsque de chaque guérilla, ce dernier a voulu faire un théâtre un lieu de parole. Le temps d’une écriture.  N. C.

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Publié le 30 juillet 2021 dans Évènements à la Parole Errante  Sons