Discussion autour du livre de Steve Wright, A l’Assaut du ciel
Cette rencontre (qui sera suivie de deux autres, le 23 novembre et le 12 décembre) ouvre un cycle consacré à l’histoire de l’opéraïsme, co-organisé par le Café Librairie Michèle Firk et les Éditions Entremonde.
Dimanche 30 octobre, à 17 h. Opéraïsme : vie et mort d’une théorie révolutionnaire À propos d’À l’assaut du ciel de Steve Wright, en présence de Ricardo Bellofiore. Présenté par le collectif Senonevero.
Riccardo Bellofiore présentera la réédition du livre de Steve Wright A l’assaut du ciel, qui propose une histoire critique des théories opéraïstes. L’opéraïsme a été un courant théorique et politique influent, d’ascendance marxiste, dans l’Italie des années 1960-1970. Le livre de Steve Wright en reconstitue l’histoire sociale à travers l’histoire des idées, des tendances et des ruptures qui l’ont marqué. Riccardo Bellofiore, postfacier du livre, interviendra au sujet de la validité et des limites du courant opéraïste ; de l’expérience singulière de la revue “Primo Maggio” au sein de ce courant ; des prolongements contemporains de l’opéraïsme et de la critique qu’on peut en faire ; et comment renouer avec une théorie critique du capital qui soit adéquate à la période.
L’opéraïsme est un courant marxiste radical qui s’est développé dans l’Italie des années 1960 et 1970 comme tentative de confronter la théorie générale du capital avec « l’étude réelle de l’usine réelle ». En rapportant le comportement de lutte de la classe ouvrière à sa structure matérielle dans le rapport d’exploitation, le but des théoriciens opéraïstes était de comprendre « les nouvelles formes d’action indépendante de la classe ouvrière ». Le livre fort bien documenté de Steve Wright raconte l’histoire de ce courant, nourri de toutes les luttes de l’époque, et s’efforce d’apprécier son apport dans le contexte des récentes mobilisations « contre le capital global ».
Steve Wright est professeur titulaire à la Faculté de Technologie d’informations à l’université de Monash. Ses recherches portent sur les mouvements contestataires en Australie et dans le reste du monde.
Au sujet de l’organisation de la série de rencontres sur la séquence autonome italienne
« Les opéraïstes faisaient de l’usine le centre du conflit. Les nouvelles générations ouvrières, leur “spontanéité”, étaient au coeur de toutes leurs analyses, ils excluaient donc toute forme d’organisation extérieure à l’usine. Ils s’opposaient aux concepts d’ “avant-garde externe”, au rôle du Parti et des bureaucraties syndicales, et privilégiaient, sur le plan tactique et stratégique, les formes d’autogestion des luttes et l’organisation autonome de base, qui allait être, quelques années plus tard, à l’origine de l’ “autonomie ouvrière”. »
Primo Moroni, Nanni Ballestrini, La Horde d’or
« Le discours sur la fin de la politique moderne provient en grande part de l’instance opéraïste, il a le même signe et le même sens de recherche et de découverte. Il a aussi le trait de quelque chose qui sort du discours courant, fait la différence par rapport au sentiment intellectuel commun, et fait comprendre dans quelle mesure l’expérience opéraïste est une expérience que tous devraient faire, y compris les nouvelles générations. Il ne faut pas céder à la tentation de croire que les contenus de ce discours peuvent être reproposés. Il faut également faire une critique de ce qu’il peut y avoir de mythologique dans le souvenir de l’opéraïsme, pour l’assumer de manière réaliste comme une expérience qui a rompu la continuité historique, a repensé la tradition, l’a véritablement renouvelée et a fonctionné comme un exercice de libération. Et fonctionne encore, pour celui qui en fait l’expérience dans les conditions nouvelles, comme quelque chose qui permet d’être libre pour l’avenir. A condition de n’oublier jamais les caractéristiques de l’opéraïsme : le point de vue partial, le rapport entre théorie et pratique, l’instance fondamentalement révolutionnaire. »
Mario Tronti, Nous Opéraïstes
Pour celles et ceux d’entre nous qui ont vu le jour au crépuscule du 20e siècle ou à l’aube du 21e, c’est bien souvent la lutte contre la Loi Travail qui a proposé comme évidente l’hypothèse autonome – qui semblait alors surdéterminée par, jusqu’à se confondre avec, les enjeux de l’histoire italienne. Au point de dissoudre les conditions historiques de son émergence dans le magma de l’époque, et d’en faire un évènement dont la composition de classe était bien éloignée de ce qui fut, littéralement, un ouvriérisme.
Pour celles et ceux d’entre nous qui ont eu l’occasion de suivre la marche du monde un peu plus tôt, la perspective autonome et la « grande vague révolutionnaire et créative, politique existentielle » qui emporta l’Italie des années 1960 et 1970 a été un des derniers mouvements de masse à se revendiquer du communisme, et à l’agir.
Pour beaucoup d’entre nous, l’autonomie italienne a constitué un premier marxisme, une matrice dans laquelle il a semblé un temps possible de penser l’époque et ce qui s’en est suivi.
Pour beaucoup d’entre nous, l’autonomie italienne a pu constituer une mise en danger de certitudes préalablement établies, d’autant plus incendiaire qu’elle était forte de son échec.
Pour beaucoup d’entre nous, le signifiant “opéraïsme” et tout ce qui l’entoure, même s’il est tributaire d’une histoire close et lourde de défaites, reste un chantier de questionnement.
C’est depuis la diversité de ces points de vue qu’il nous a semblé crucial de mettre en partage et en question l’autonomie italienne et les opéraïsmes. Parler de la diversification des sujets politiques qui a traversé cette séquence ; des limites et contradictions enfin, de ce grand mouvement de refus et de révolte occidental. Interroger l’héritage d’un moment défait dont le spectre ne cesse de nous hanter, et que l’on hésite perpétuellement à exorciser définitivement ou à ranimer, sous une forme ou une autre.
Pour approfondir ces questions, et tant d’autres encore, nous sommes très heureux de co-organiser avec les éditions Entremonde une série de rencontres et de discussions autour des expériences communistes italiennes du second 20e siècle.
Nous adossant sur leur exceptionnel programme de publications, nous proposons trois temps de présentation, offrant chacune une lecture différente de la période, à raison d’un par mois.
Le déroulé des deux prochaines rencontres est donné ci-dessous.
Mercredi 23 novembre à 19 h: De la critique du Capital à la critique de la famille, et inversement. Discussion entre Leopoldina Fortunati et Silvia Federici pour la sortie de L’Arcane de la reproduction et de Réenchanter le monde
Le mercredi 23 novembre à 19h, nous aurons ensuite la chance de recevoir Leopoldina Fortunati, théoricienne et militante féministe marxiste italienne pour nous présenter son livre L’Arcane de la reproduction (1981) dont la traduction française inédite a paru en octobre 2022. Fortunati sera en discussion avec Silvia Federici, qui présentera Réenchanter le monde, paru en printemps 2022. Ce sera l’occasion de revenir sur l’émergence d’une théorie féministe opéraïste dans l’Italie des années 1970, à la fois dans et contre les catégories marxiennes. Une théorie « indissociable des besoins de la lutte » menée par Lotta Feminista, groupe féministe italien né sous l’impulsion de militantes de Potere Operaio. Les travaux de Silvia Federici et Leopoldina Fortunati sont mus par le projet de systématiser l’analyse des rapports réels que le capital entretient en secret avec les pourvoyeuses de soins, de sourires et de sexe. Caliban et la sorcière, Réenchanter le monde et L’Arcane de la reproduction font apparaître dans toute sa complexité le processus de (re)production de la marchandise force de travail qui est en jeu derrière la subordination des femmes dans le capitalisme.
Leurs travaux audacieux ont proposé un changement de paradigme dans le féminisme marxiste et sont à l’origine du féminisme de la reproduction sociale.
12 décembre à 19h: Esthétique et développement capitaliste. Autour de Projet et Utopie de Manfredo Tafuri, en présence de Marco Assennato.
Enfin nous aurons le plaisir de recevoir Marco Assennato, qui viendra nous présenter le livre de Manfredo Tafuri, Projet et Utopie. Marco pourra nous présenter un chapitre méconnu de la pensée italienne, l’école de Venise. Celle-ci s’est, à la fin des années 70, ouverte à certaines pistes de recherche novatrices à propos du rôle et de la fonction de l’art dans le cadre des grands espaces de l’urbanisation contemporaine. Il pourra ainsi nous expliquer comment Tafuri, en s’attachant à appliquer les thèses opéraïstes aux domaines de l’architecture et de l’urbanisme, propose une réflexion sur la métropole comme lieu de l’accumulation capitaliste et de l’antagonisme social. La ville devient, dans cette optique, l’un des sites majeurs de déploiement de la critique sociale, mais aussi de bon nombre d’entreprises avant-gardistes et utopiques : l’espace urbain comme enjeu politique, imbriqué aux rapports de domination et d’aliénation, qu’il s’agit toujours de subvertir. Ici, l’histoire de l’architecture se fera critique de l’idéologie.