« La Dépolitisation du monde » – Rencontre avec Ghislain Casas
Le Café-Librairie Michèle Firk est très heureux d’organiser une rencontre avec Ghislain Casas autour de son ouvrage La Dépolitisation du monde, paru à l’automne chez Vrin.
Travail de philosophe et d’archéologue, ce livre propose de questionner le contemporain depuis une discipline qui apparaît comme matricielle de la modernité : l’angéologie, science des anges. Elle introduit en effet le concept de hiérarchie dans la sphère de la pensée, et dessine les contours tout à la fois des rapports possibles au monde, et du gouvernement de celui-ci.
Nous prévoyons de déplier et de mettre en partage ce texte et ses thèses, afin de pouvoir le discuter tous ensemble. La rencontre sera suivie d’un temps plus informel, avec bar et petite restauration.
Présentation de l’éditeur :
« La modernité – politique et scientifique – n’est pas née d’un geste de rupture avec le Moyen Âge. L’État et la science modernes peuvent en effet être envisagés comme les conséquences lointaines d’une contradiction logée au cœur de la théologie scolastique. Ce livre raconte l’histoire de cette double genèse en faisant remonter l’idée foucaldienne d’une « dégouvernementalisation du cosmos » du XVIIe au XIIIe siècle. Pour cela, il prend pour objet les débats qui ont animé l’angélologie médiévale au sujet des « anges-moteurs » et s’intéresse à la tentative échouée des Médiévaux pour accorder le concept théologico-politique de hiérarchie à la question cosmologique du mouvement des cieux. Cette étude ne cherche toutefois pas principalement à antidater de quelques siècles l’émergence de la modernité. Il s’agit de présenter les matériaux historiques indispensables à la compréhension du hiatus entre la politique et le monde, que notre époque cherche à surmonter sans y parvenir encore. »
Extraits d’un entretien avec l’auteur paru dans Lundi Matin :
« La distinction moderne par excellence trouve son origine dans la discipline la moins moderne qui soit, la théologie et plus spécifiquement dans la branche de la théologie qui s’intéresse aux anges ! Qu’est-ce qu’un ange ? C’est un messager divin. Le mot vient du grec angelos, qui veut dire « messager » et qui traduit, dans la Bible, le mot hébreu malakh. Avec la traduction en latin, il se passe une chose curieuse : angelos est traduit parfois par nuntius, qui veut dire « messager », parfois par angelus, qui veut dire « ange ». Autrement dit, être messager ne relève pas d’une fonction, mais de la nature même de l’ange. L’angélologie est la science de cet être qui n’est que message, mission, médiation. […]
Il me semble que ce qui a rendu difficile, sinon impossible, d’attribuer aux anges une fonction dans la machine cosmique, c’est le concept de hiérarchie. À l’origine, c’est un concept théologique, qui a été forgé par un certain Denys l’Aréopagite. C’est un auteur mystérieux parce qu’on ne sait pas de qui il s’agit réellement. On sait qu’au début du VIe siècle a commencé à circuler un corpus de texte signé du pseudonyme « Denys l’Aréopagite », dont le nom apparaît une fois dans la Bible, plus précisément dans les Actes des apôtres. Cette fraude littéraire constitue à elle seule un objet historique fascinant, tant elle a connu de développements et tant son influence est grande sur l’histoire intellectuelle occidentale. Sans entrer dans les détails, on peut s’imaginer l’effet qu’a eu un texte de théologie dont on a cru, ou voulu croire, qu’il provenait d’un disciple de Saint Paul. Les écrits du ps.-Denys l’Aréopagite sont devenus une des sources les plus importantes de la théologie médiévale. Or il se trouve que le terme même de hierarchia apparaît pour la première fois dans ce corpus. La hiérarchie est même définie de façon à la fois précise et obscure comme « un ordre sacré, un savoir et une activité ». Ce qui est remarquable, c’est que l’ordre dont il est question relève de la sphère du sacré. Il s’agit de l’ordre qui est établi parmi les anges et parmi les humains dans l’institution ecclésiastique. Le ps.-Denys a écrit deux traités sur la hiérarchie, La hiérarchie céleste et La hiérarchie ecclésiastique. Le concept de hiérarchie sert à penser un ordre de médiations sacrées vers le divin. Il recouvre l’ensemble des structure institutionnelles, des pratiques rituelles et des relais symboliques qui assurent la médiation entre le divin et l’humain. […]
La hiérarchie permet de penser un ordre à partir du savoir et de l’activité, sans référence à aucune axiologie extérieure. C’est un nouage complexe et assez mystérieux entre l’ordre, le savoir et l’agir – dont les théologiens médiévaux ont cherché à rendre compte les uns à la suite des autres en commentant inlassablement les écrits dionysiens. Ils en parlent littéralement comme d’une domination rationnelle légitime. La formule fait évidemment penser à Max Weber et laisse entrevoir une ligne qui irait de l’angélologie scolastique à la bureaucratie moderne. Il y a cependant une formule plus générale à en tirer. C’est précisément l’articulation des trois termes qui produit de façon immanente le pouvoir, la rationalité et la légitimité. On ne présuppose jamais l’un des trois termes, mais chacun se fonde sur les deux autres. Si bien que le concept de hiérarchie enveloppe l’idée d’un pouvoir presque pur qui ne se soutient que de sa propre institution. »La Parole Errante
9 rue françois debergue, 93100 Montreuil
- Jeudi 26 : 19h00 – 21h00